Disparition du photographe Marc Garanger
Richard Andry, AFC, Martin Garanger, Jean-Paul Meurisse et Gilles Porte, AFC, témoignentIl y a des rencontres qui changent une vie..., par Gilles Porte, AFC
Adolescent, je rencontre des femmes qui me bouleversent… Toutes algériennes… Elle me regardent de face, jamais de biais, et semblent me dévisager… Il y en a beaucoup…
Toutes sont en noir et blanc…
Celui qui les avait photographiées était un ami de mes parents. Il s’appelait Marc Garanger.
Âgé d’une vingtaine d’années, Marc ne voulait pas faire la guerre… Il ne voulait pas partir en Algérie…
Entre mars 1960 et février 1962, sur les hauts plateaux de Kabylie, il se débrouille cependant pour être engagé comme photographe officiel au sein de son régiment…
A la fin de la guerre d’Algérie, l’armée française rase les maisons isolées des fellagas. Des villages de regroupement sont créés. Chaque habitant doit avoir une nouvelle carte d’identité.
Marc se rappelle des photos de l’Américain Edward Curtis qui a photographié les populations amérindiennes à la fin du 19e siècle…
Alors, dans chaque village, il fait assoir des femmes sur un tabouret, contre le mur blanc de leurs maisons et plutôt que de faire des simples photos d’identité, il fait des portraits moyen-format… 200 par jour… C’est la première fois que ces femmes, cadrées à la ceinture, se dévoilent devant un étranger, en 6x6… Et voilà comment un Semflex et un objectif Zeiss deviennent alors une arme terrible pour dénoncer cette guerre de colonisation.
Dans une chambre noire bricolée, Marc recadre ensuite ses portraits pour en faire des photos d’identité classiques et les fournit ensuite à l’armée...
Lors d’une permission, Marc transporte ses négatifs en dehors de l’Algérie et c’est le tireur argentique, Georges Fèvre - qui travaillait aussi pour Henri Cartier-Bresson et Robert Doisneau - qui inscrit Marc au Prix Niepce….
En 1966, Marc remporta ce prix Nicéphore Niepce en 1966…
Je me souviens également, beaucoup plus tard, alors que je venais de débarquer à Paris, d’une campagne publicitaire pour la nouvelle pellicule Ektachrome, réalisée par Marc… Des regards venus du bout du monde, des couleurs incroyables, une petite bobine Kodak…

Voir des portraits de la série "Femmes algériennes" et des images de la campagne Kodak Ektachrome dans le portfolio en dessous de l’article.

En hommage à mon père, par Martin Garanger
A 15 ans, mon père m’avait offert un Nikon FM et m’avait appris à développer les films noir & blanc dans notre salle de bain. Gilles Porte, lui, venait de débarquer à Paris, avec un agrandisseur argentique sous le bras…
Alors que Gilles était venu à la maison, dans le Marais, pour dîner avec nous et que mon père l’encourageait dans une direction où il avait très peu de repères, je me suis immiscé dans la discussion.
Je n’avais jamais fait de tirages !
Gilles m’a alors proposé d’utiliser son petit laboratoire qu’il avait installé dans le placard de sa chambre de bonne, dans le 18e arrondissement de Paris. Gilles m’avait laissé la clé de sa chambre sous les toits. J’étais venu avec une boîte de papier 13x18 cm et mes négatifs. J’avais choisi une image et je m’étais obstiné à vouloir absolument rendre un effet particulier alors que je ne savais même pas où je mettais le pieds ! Je me rappelle être reparti de chez Gilles avec aucun tirage satisfaisant ! Je les avais tous laissés dans un sac de supérette accroché à la poignée de la porte du placard, collés entre eux par l’humidité. Le sac goutait même par terre ! J’ai ensuite refermé la porte et remis la clé à la concierge.
La semaine suivante, Gilles et mon père en ont reparlé et mon père m’a remonté les bretelles ! « Il faut déchirer une première feuille en quatre et faire des bandes test pour vérifier le résultat avant de "taper" toute la boite !!! »
Nos routes se sont recroisées avec Gilles ensuite à plusieurs reprises. J’ai notamment travaillé comme régisseur sur le premier court métrage que Gilles a réalisé. Ça s’appelait Le Muscat du dimanche soir.
Gilles venait de recevoir le prix Défi Jeune et moi je voulais faire un tour du côté de l’image animée… La directrice de la photographie était Nathalie Durand.
Au retour d’un tournage en Sibérie, Gilles m’a demandé de tirer plusieurs de ses photos… Cette fois-ci en couleur et en numérique et non pas à Montmartre mais à Montreuil puisque c’est là que depuis plusieurs années j’y ai installé un Laboratoire professionnel !
Sur le site de mon atelier*, on peut lire aujourd’hui :
"Travail artisanal, en collaboration avec le client qui valide des essais en petit format et des échantillons à l’échelle des tirages avant la sortie définitive. Les images sont sujet à un travail à l’atelier de calage en chromie/densité/contraste et de retouche."

En souvenir de Marc Garanger, par Richard Andry, AFC
Triste nouvelle. Marc était un grand Monsieur.
Je l’ai connu à la fin des années 1970, quand j’ai travaillé avec lui en qualité d’assistant sur un film publicitaire. Sûrement peut-être le seul qu’il ait jamais commis car cela n’avait pas l’air d’être sa tasse de thé. Il revenait d’un "sujet" en Afrique pour le National Geographic et je me souviens avoir été surpris par les centaine de boîtes jaunes de diapos Kodachrome qui étaient alignées près de sa table de lecture.
Je suppose qu’on m’avait choisi pour mon expérience pub, "wild life" et baroud avec Frédéric Rossif. C’était une pub pour Volvic, l’eau des volcans d’Auvergne. Nous avions un Caméflex et une série Kino, un pola et une boîte de dégradés neutres. Je n’avais jamais eu à préparer aussi peu de matériel pour un film publicitaire.
Il fallait filmer un couple de randonneurs qui grimpaient dans les monts d’Auvergne et, du sommet, découvraient la merveilleuse vallée de Volvic. Nous nous sommes levés à 2 heures du matin pour pouvoir filmer le lever du soleil et quelques lumières magiques. Marc était libre de faire ce qu’il voulait. Le réalisateur était un créatif d’agence qui se contentait d’aider à porter les caisses et Marc shootait à toutes les ouvertures et pas mal en contre. Il n’avait pas de cellule mais une boussole, j’avais pris deux verres de contraste.
La véritable vallée où se trouve l’usine Volvic n’étant vraiment pas photogénique, on a crapahuté à trois pour trouver une vallée qui ferait l’affaire et dans l’image de laquelle on incrusterait le pack-shot. L’angle trouvé, on s’est installé pour attendre la lumière magique. La journée ayant été bien remplie et l’attente quelque peu longue, on s’est assoupis. A notre réveil brusque, la lumière était là ! Une araignée avait tissé sa toile dans le pare-soleil. On s’est marré. Vite tourné et on est redescendus. J’ai travaillé sur plus d’une bonne centaine de pubs mais je me rappellerais toujours celle-ci.
Marc Garanger n’était pas très bavard : calme, humble, discret, l’anti-mondain par excellence. C’était un être libre. Un artiste libre. Il m’impressionnait et j’avais pour lui beaucoup de respect. Je n’ai pas pu rester en contact durable avec lui mais je garde ce souvenir qui me revient parfois quand je regarde ses photos.
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
Pour Marc Garanger, avec une infinie reconnaissance, par Jean-Paul Meurisse
C’était en 1960, l’Algérie, le bled, un PC bataillon ceinturé de barbelés, planté dans un no man’s land. J’arrivais diplômé de l’école d’officiers de Cherchell. Marc Garanger, caporal et photographe, m’avait devancé en ce lieu et se retrouva sous mes ordres, ordres consistant pour l’essentiel à l’envoyer en opérations avec kimono 13, commando de chasse... à l’homme du FLN ou de l’ALN. Marc revenait avec des photos de combats, de combattants, de blessés, de prisonniers "interrogés" par l’officier de renseignements, le lieutenant L., très dangereux avec ses méthodes de "persuasion". Arriva l’époque où le peuple algérien eut à voter sur l’"Autodétermination". Les paysannes locales ne possédaient pas de cartes d’identité. Marc eut à photographier des centaines de femmes sur fond de murs de mechtas. Les femmes, toutes voilées, devaient être dévoilées ! Après la guerre, Marc publia un recueil de ces magnifiques portraits en noir et blanc souvent bouleversants.
Marc et moi appelés, sursitaires, à tendances gauchisantes et antimilitaristes, nous étions naturellement en sympathie. Il me montrait des photos qu’il cachait aux autres officiers du bataillon.
Je n’avais jamais fait de photos de ma vie. Marc me conseilla un appareil 24x36 commandé sur le journal militaire "Le Bled" et critiqua avec bienveillance mes premiers clichés.
Marc, tu avais, sans le savoir, posé les bases de ma future profession, alors que Sup de Co Paris ne m’y avait pas prédestiné. Je t’en suis infiniment reconnaissant.
À un de ces jours, peut-être, ailleurs, pour un "selfy" d’un autre âge ?
Jean-Paul Meurisse est cadreur et directeur de la photographie.
En vignette de cet article, Marc Garanger, à la fin des années 1980, photographié par Christian Chamourat.